mercredi 13 octobre 2010

MES CLASSES

En temps que sursitaire, je n’ai intégré la communauté militaire qu’en juillet 1959 à l’âge de vingt et un ans. Je n’ai pas rejoint directement l’Algérie comme certains, ni l’Allemagne comme beaucoup. Je me suis retrouvé à faire mes classes au 1er régiment d’artillerie marine à Melun. Actuellement ce régiment n’est plus à Melun mais à Laon dans l’Aisne.
L’infanterie et l’artillerie marine n’ont rien à voir avec les bateaux. Ces deux corps d’armée ont été créés pour la défense de nos colonies.
L’artillerie ce n’est pas l’infanterie. Je me suis donc dit, dans ma petite tête : chouette je suis tranquille pour la suite.
Erreur, grossière erreur.
A Melun, je me retrouve affecté dans une section d’apprentissage de conduite automobile bien qu’ayant déjà mon permis voiture légère dans le civil. Il s’agit d’apprendre à conduire des poids lourds, en l’occurrence, à l’époque, des GMC.
GMC est l’abréviation de la société américaine « General Motor Corp ».
Cet apprentissage est bien plus difficile que l’équivalent dans le civil.
Nous apprenons notamment à passer les vitesses sans faire « crier » la boite.
La technique consiste à pratiquer ce que l’on appelle le double pédalage. Il faut débrayer et embrayer deux fois avec un coup d’accélérateur au point mort avant de passer la vitesse.
Nous apprenons aussi à rentrer en marche arrière dans un garage avec seulement dix centimètres de jeu de chaque côté.
Nous passons sur des ponts étroits et très en pente avec un arrêt au milieu. Nous devons utiliser le crabot pour redémarrer, sans reculer dans la pente.
Le crabot est un système mécanique qui permet, par l’intermédiaire d’un levier, d’avoir toutes les roues du véhicule motorisées. Nous utilisons le petit accélérateur manuel pour démarrer dans la pente.
Cet accélérateur existe aussi sur jeep.
Nous participons également à un gymkhana autour de quilles posées au sol.
Nous réalisons des marches arrière à angle droit le long d’un trottoir en restant le plus parallèle possible et sans toucher au trottoir.
Il y avait certainement d’autres réjouissances mais je n’en ai pas souvenirs. Tout cela se faisait sur un GMC sans direction assistée bien sûr.
Une connaissance approfondie des différents moteurs ainsi que des dépannages éventuels nous sont également inculqués.
Notre instructeur est un maréchal des logis chef assez sympa de trente cinq à quarante ans.
Bien sûr nous ne faisons pas que de la conduite automobile. De temps en temps nous visitons la campagne environnante avec le sac à dos et en arme mais sans munition. Nous allons également sur le pas de tir pour nous entraîner sur des cibles. Je suis un très bon tireur mais ça je le savais déjà. La suite de mon « sapin » me démontrera que j’ai eu tort d’exhiber mes talents.
C’est à Melun que je vois un fusil Garant pour la première fois. C’est le fusil de débarquement des américains en juin quarante quatre. Nous apprenons à le démonter et à le remonter. C’est une vraie saloperie. Il a un nombre important de pièces si bien qu’il s’enraye souvent. Je n’ai jamais revu ce fusil par la suite.
Pourquoi apprendre à démonter et remonter le fusil Garant que nous ne reverrons plus par la suite?
De temps en temps nous apprenons à marcher au pas. Etant l’un des plus grands de la bande je me retrouve « homme de base ». L’homme de base est celui qui est à l’extrême gauche de la première ligne et donc de la première colonne. C’est sur ce soldat que tous les autres s’alignent pour marcher. Comme vous voyez, je commence déjà à faire du zèle. Pourtant je n’ai rien demandé. Je dois avoir une tête sympa qui m’a poursuivi pendant toute la durée de mon service militaire.
Nous avons un gros problème pour les permissions. Le commandant n’accorde que des permes de la journée ou de vingt quatre heures maximum.
En trois mois je n’ai jamais pu aller chez moi en Bretagne. Pour compenser je me suis rendu souvent dans la famille que j’ai en région parisienne.
J’ai une pensée pour un oncle et une tante qui m’ont souvent reçu chez eux. Ils habitaient Montrouge.
Je vous assure que j’ai souvent fait le mur de la caserne.
Il faut que je vous raconte mes prouesses en la matière. La caserne est entourée d’un mur d’environ trois mètres de haut. J’ai repéré que des petits malins ont stocké des pavés dans un coin et que de l’autre côté, dans la rue, il y a un poteau électrique en béton collé au mur. Je ne sais plus combien de fois je me suis servi de cet endroit pour fuguer.
Au cours de mes trajets sur Paris en train j’ai toujours réussi à échapper aux contrôles militaires.
Quant aux contrôles dans la caserne, il n’y en a pratiquement jamais eu. Je soupçonne les gradés d’être un peu conciliants pour ne pas dire complices.
Après tout, nous ne sommes que de passage et plus des trois quarts d’entre nous partiront en Algérie. Ils nous foutent donc la paix.
Dans l’ensemble les gars de ma section sont sympa et nous n’avons pas été les derniers à faire les blagues classiques des troufions.
Connaissez-vous le lit en portefeuille ? Le jeu consiste à plier le drap du dessus en deux afin d’empêcher toute pénétration entre les deux draps : ça marche à tous les coups.
Nous avons également ligoté des copains sur leur lit pendant leur sommeil. Le réveil n’est pas triste : certains paniquent.
Autre distraction. La tête de notre lit est encastrée dans une espèce d’alcôve avec un placard à gauche et un autre à droite. Nous profitons lâchement du sommeil du copain pour soulever son lit par les pieds arrières et le plaquer contre cette armoire. Notre dormeur tombe cul par dessus tête, enfermé dans l’alcôve. Croyez- moi, ça réveille.
Voulez-vous encore d’autres blagues du même acabit ?
Pendant le sommeil de votre pote, vous lui mettez le petit doigt dans un verre d’eau. Il paraît que ça fait pisser au lit. Je ne me souviens pas du résultat : personne ne s’en est vanté.
Les godillots à clous que l’on frotte l’un sur l’autre de plus en plus vite pour interrompre les ronflements du dormeur. Nous l’avons essayé et ça marche. Le copain finit par s’étouffer plus ou moins et il se réveille.
Après un stage de trois mois dans cette discipline et l’obtention de mon permis poids lourds et en guise de remerciements, l’armée nous parachute en manœuvres à Mourmelon dans la Marne.
Là, j’ai encore un coup de chance.
Je me retrouve affecté comme chauffeur de la jeep du vaguemestre, un adjudant assez sympa.
La chance, je l’ai eu au début pendant mes classes et pas après. J’aurais préféré l’inverse.
Heureusement que je n’ai pas participé aux manœuvres car le temps était plutôt mauvais. Il a beaucoup plu si bien que la boue est présente partout.
Cela nous donne une petite idée du calvaire des poilus de la guerre de 14-18. Pendant l’hiver 44-45 les soldats n’étaient pas mieux lotis, dans le froid et la neige des Ardennes.
J’ai deux histoires croustillantes de cette période à Mourmelon à vous raconter. Au retour de la poste avec le courrier je me souviens avoir plus ou moins raté un tonneau dans un virage, au grand « dam » de mon adjudant qui n’a rien dit mais a serré les fesses : moi aussi d’ailleurs.
Il faut dire, qu’à l’époque, j’étais un peu casse-cou. J’avais passé ma jeunesse à fréquenter les stades : foot, basket, athlétisme, vélo, natation …
J’étais nettement moins bon à l’école.
Autrement dit, j’avais la pêche.
A Mourmelon, j’ai retrouvé un copain d’enfance. Inutile de vous dire que, pendant nos temps libres, nous ne nous sommes pas lâchés. Nos manœuvres se sont terminées par une escapade non autorisée en dehors du camp. C’est quand même plus facile de foutre le camp sans rien dire que d’essayer d’avoir une perme.
D’autant plus qu’une perme est presque toujours refusée.
Nous avons pris d’assaut tous les bars du coin et peut-être essayé de draguer un peu les nanas. Je ne me souviens pas avoir rencontré de filles « canon » dans le coin. Nous sommes rentrés au camp, dans la nuit, accompagnés d’une biture mémorable.
Par égard pour les âmes sensibles, je ne vous raconterai pas la suite de mon ivresse dans mon plumard à étage : gare à celui d’en dessous. Ce n’est pas « jojo ».
Une sacrée gueule de bois s’est accrochée à nos « basques » pendant toute la journée du lendemain. Mon pote et moi nous nous sommes séparés quelques jours après pour regagner notre caserne respective.
A ce stade de mon récit je me dois de faire une parenthèse. Si j’utilise beaucoup de mots d’argot dans mon récit c’est par intention. J’ai voulu rester au plus près de la prose utilisée à l’époque par les troufions.
Je n’ai pas la prétention d’écrire une œuvre de haute littérature. J’espère que les érudits ne m’en voudront pas et qu’ils pardonneront mes écarts de langage.
De retour à Melun, nos classes se sont achevées par la divulgation de notre future affectation attendue et redoutée. Je me suis retrouvé, comme la plupart, avec une destination algérienne, au 1/42e régiment d’artillerie basé à Carnot.
Oui, oui, vous avez bien entendu.
Je fais mes classes en France dans un régiment d’artillerie coloniale et, par la suite, je suis muté en Algérie dans un régiment d’artillerie métropolitaine. Les mystères de l’armée française.
Ne cherchez pas ce régiment, il a disparu.
Je pense qu’il n’existe plus : peut-être sous un autre nom !
Avec mon permis, je vais sans doute piloter une jeep ou, au pire, un camion.
Vous allez voir que les voies de l’armée, comme les voies du seigneur, sont impénétrables.
Pour une surprise, ce fut une surprise.
Carnot se trouve, à environ cent cinquante km à l’ouest d’Alger, entre Affreville et Orléansville. Une autre parenthèse. Je n’utiliserai dans mon récit que des noms de villes et villages utilisés avant 1962 . Tous les noms à consonance européenne ont été changés à l’indépendance de l’Algérie.
J’ai réussi à trouver une carte de l’époque.
Kherba et Rouina ont conservé leur nom.
Affreville est devenu Khemis Miliana
Orléansville est devenu Chlef
Duperré est devenu Ain Delfa
Avant de partir pour l’Algérie une perme de quelques jours n’est pas de refus mais pas toujours agréable surtout pour les parents qui se doivent de faire bonne figure mais le cœur n’y est pas.
J’engrange un maximum de sorties avec les copains.
Je me couche tôt le matin presque tous les jours. A l’époque les sorties consistent surtout à aller danser dans des bals.
J’étais assez friand de ce genre de distractions qui vous permettent de voir des filles de près et surtout de les toucher.
Les boites de nuit n’existaient pas ou alors très peu. Je ne suis pas prêt de refaire la fête. Après moult recommandations des parents, je regagne Melun.
A la caserne nous traînons quelques jours entre le foyer et notre dortoir. Imaginez des dizaines de troufions au foyer : c’est très bruyant. Le foyer est le bar des simples soldats. Les bières englouties et le stress à l’approche du départ ne font pas bon ménage.
Il y a souvent des bagarres.
Nous sommes consignés dans la caserne avant notre départ. Nous avons droit à la série de piqûres traditionnelles. Nous sommes tous à la queue leu leu. Les infirmiers ont vraiment de l’entraînement. L’un d’eux nous badigeonne l’épaule, l’autre plante l’aiguille et le dernier nous injecte le produit. Certains ont du mal à supporter ces piqûres. Ils tournent carrément de l’œil. D’autres sont malades après car ils n’ont pas respecté le jeûne qui doit précéder.

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