mercredi 13 octobre 2010

LA VIE AU CAMP

En février, G…, un autre copain et moi avons le droit à une ballade à Orléansville l’après-midi. Je ne sais plus comment nous avons fait pour obtenir cette perme. Nous visitons la cité et nous nous tapons quelques verres dans les bistrots du coin. Je crois que c’est la dernière fois que je suis sorti avec G... Il a eu la quille et est donc parti peu de temps après. Lui aussi a fait l’Allemagne avant l’Algérie.
C’est en février que je reçois la médaille commémorative d’AFN, trois mois après mon arrivée. Cela veut dire qu’il n’y a aucune différence, pour l’armée et l’état, entre celui qui fait trois mois en Algérie et celui qui fait deux ans et plus. Cherchez l’erreur !
Remarquez, aucune différence n’a jamais été faite non plus entre les hommes de terrain et les hommes de bureau.
Je connais des copains qui reconnaissent avoir eu la planque en Algérie.
Je crois que c’est à cette époque que j’assiste pour la première fois à des crises de paludisme. Je me souviens d’un gars de notre section qui nous en a fait une un soir de repos au camp. Elle était plutôt carabinée. Nous l’avons tenu à six sur son lit : trois de chaque côté. Son corps est secoué par des tremblements et nous avons beaucoup de mal à le maintenir. Ce n’est vraiment pas beau à voir. Encore un héritage de la guerre d’Algérie. Dans notre unité plus de la moitié des gars a attrapé le palu. Par chance je suis passé au travers.
Le moral est comme le temps : maussade.
La fiesta continue en mars.
Les opérations se succèdent à un rythme soutenu : deux, trois, quatre jours d’affilés. En hiver ce n’est pas jojo. Il pleut et nous sommes trempés jusqu’aux os : personne n’est malade. La djellaba est imbibée de flotte et devient plus lourde que le reste du barda.
Je crois que c’est les 4 et 5 mars 1960 que nous avons eu la visite de De Gaulle en Algérie. Je m’en rappelle très bien car il faisait un temps de cochon : de la pluie et encore de la pluie.
Toutes les troupes sont mobilisées pour la protection du Général. Nous avons passé quarante huit heures sur le terrain pour sa protection. Nous avons dormi, à la belle étoile comme d’habitude, dans de la terre glaise recouverte d’eau. Au bout de ces deux jours nous avions de la boue partout : dans nos cheveux, nos oreilles, nos narines.
Comme on dit : nous n’avions plus un poil de sec. Je ne voyait plus la couleur de mes vêtements et chaussures. Sans le vouloir, le camouflage était parfait. Vous ne savez pas la meilleure. De Gaulle est bien passé mais au-dessus de nos têtes en hélico. Il faut vraiment avoir envie d’emmerder le monde.
G… est parti. Devinez qui récolte le fusil mitrailleur ? Votre serviteur bien sûr.
Je rends mon fusil et la musette de chargeurs. Les jours de repos, je m’entraîne à démonter et remonter le FM. J’ai fini par pouvoir le faire les yeux bandés.
C’est impératif pour la nuit sur le terrain si nécessaire. Toujours le souci d’avoir une arme en parfait état. Je m’occupe également de mes chargeurs personnels que je porte dans un étui en toile autour de la cuisse gauche. L’étui est constitué de trois poches fermant par des boutons à pression. J’ai donc trois chargeurs en réserve sur le côté. Cet étui est très visible sur une de mes photos.
Après chaque opé j’enlève les balles des chargeurs et, si besoin, je retends les ressorts et je les réapprovisionne sans oublier les balles traçantes.
En avril la section au repos hérite d’une nouvelle corvée . Nous retapons l’intérieur d’un bâtiment inoccupé pour en faire un réfectoire. Le travail consiste, après un nettoyage et lavage complet, à badigeonner les murs à la chaux.
Désormais nous ne prendrons plus nos repas dans notre dortoir.
Il commence à faire beau et nous sommes la plupart du temps en short, pas forcément de l’armée.
Nous nous repayons également une consolidation des barbelés.
Je crois que c’est également à cette époque que nous voyons arriver un adjudant de carrière pour s’occuper de l’ordinaire du camp.
Il faut que je vous raconte ses débuts au camp : ça vaut son poids de cacahuètes. Figurez-vous qu’il a voulu faire du zèle. Il veut nous foutre au garde à vous, nous ordonner tout un tas de conneries comme en France.
Il faut le saluer alors que nous ne saluons même pas un général qui se présente à la porte d’entrée du camp.
Il ne s’est pas foutu de nous bien longtemps.
Une nuit, les copains de garde ont simulé une attaque en masse du camp.
Cela pettait dans tous les sens : rafale de mitraillette, fusée éclairante et même grenades : des vraies pas des fausses.
Il y a eu un beau bordel.
L’adjudant est sorti de sa chambre en petite tenue et complètement affolé et ne sachant visiblement pas quoi faire. J’ai cru qu’il allait avoir une attaque. Qu’est ce qu’on a pu rigoler. Le barouf s’est achevé aussi vite qu’il était venu. Comme la nuit porte conseil, le lendemain notre cher adjudant avait compris la leçon. Il ne nous a jamais plus emmerdés.
Fin de l’histoire.
J’ai également entendu parler de règlements de compte en opérations. Des gradés se sont faits trouer la peau, pas forcément par ceux d’en face. Notre unité n’a jamais eu ce genre de problèmes.
Je suis au commando depuis cinq mois. Les anciens sont partis et nous assurons pleinement la relève.
Apparemment, personne ne reste plus d’un an dans cette unité. C’est trop dur et l’efficacité sur le terrain s’en ressent. Ceux qui n’ont pas fini leur service sont mutés au PC ou dans une autre batterie. Ils peuvent attendre la quille tranquillement.
Je pense que le stage commando a été bénéfique pour ne pas se faire descendre. Les nouveaux sont arrivés.
Comme d’habitude, la plupart viennent d’Allemagne. Ils n’ont plus que huit à dix mois à faire avant la quille : les veinards. Un paradoxe de taille : souvent les gars arrivent après moi et ont la quille avant moi.
Quand je vois ce qui me reste à faire, j’en suis malade. Il vaut mieux ne pas y penser.
Pour les nouveaux c’est vraiment une représentation tout azimut aussi bien sociale que géographique. Dans notre section nous avons même un boxeur professionnel qui vient d’arriver. Je crois qu’il combattait dans la catégorie mi-lourd. Il est sacrément baraqué. Devinez à quel poste il a été parachuté ? Porteur d’une musette FM bien sûr.
Pour l’instant nous ne faisons pas d’opérations trop longues : ça ne durera pas.

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