mercredi 13 octobre 2010

MON VOYAGE VERS L'ALGERIE

Nous partons de Melun pour Marseille le 9 novembre 1959.
Le voyage en train est pénible car c’est un train spécial militaire. Le convoi s’arrête partout, et parfois longtemps, pour laisser passer les trains réguliers. Notre passage à la caserne de Marseille me laisse un mauvais souvenir.
Nous sommes agressés par des punaises toute la nuit. C’est la première fois que je suis confronté à ce genre de petites bestioles. Des milliers de soldats transitent tous les jours et la propreté laisse à désirer.
Après une nuit à Marseille nous embarquons sur le bateau transport de troupes « Ville d’Alger ». Je me demande combien de soldats sont sur ce navire : plusieurs milliers sans doute.
Toutes les tenues militaires sont de sortie. C’est vraiment un échantillonnage complet. C’est celle des spahis que je préfère, surtout que certains ont déjà revêtu leur cape rouge d’hiver.
Le confort à bord est pour ainsi dire inexistant. Quant à la nourriture, c’est franchement dégueulasse. Nous sommes logés à fond de cale, chacun avec un transat pour essayer de dormir. Dans mon coin il n’y a même pas un hublot. La mer n’est pas mauvaise. Nous sommes juste un peu secoués au large de la Corse. Rien de bien méchant et pourtant, après quelques heures de navigation, les premiers symptômes de mal de mer commencent à tirailler certains d’entre nous. Pas mal de gars vomissent et l’odeur devient vite désagréable.
Je remonte sur le pont avec mon transat respirer l’air du large et terminer ma nuit dans de meilleures conditions, emmitouflé dans ma capote. La capote est le par-dessus du militaire. Je préfère avoir froid plutôt que de respirer le « dégueuli » et finir par être malade à mon tour.
J’ai donc échappé à ces malaises et débarqué à Alger dans de bonnes conditions après trente cinq heures de navigation.
Tout le monde est sur le pont à l’approche de la ville qui est vraiment très belle. Je comprends pourquoi on l’appelle Alger la Blanche.
La caserne de transit n’est pas mieux que celle de Marseille. Le lendemain nous partons en train pour notre lieu de villégiature. Nourri et blanchi au frais de la princesse comme on dit. Je m’en serais bien passé de cette princesse. Je crois que ce trajet nous a fait prendre conscience que la métropole est désormais bien loin. La traversée de gorges profondes sans arbre nous impressionne.
La voie ferrée longe la RN4 et l’oued Chélif sur une bonne partie du parcours. Je vous en reparlerai souvent de cet oued.
Oued est un mot arabe qui veut dire cours d’eau. Les oueds sont souvent desséchés une partie de l’année mais peuvent également avoir des débits importants en hiver.
Notons au passage que ce fameux train de transport n’est équipé que de deux ou trois wagons de voyageurs et de quelques wagons de marchandises.
Sa particularité est d’être pourvu, devant la locomotive, d’un ou deux wagons à plateaux découverts qui sont sacrifiés en cas de passage sur une mine. Une petite section de militaires armés veille à la sécurité du train.
La plaine de l’oued Chélif que nous traversons est surprenante et très belle. Abstraction faite des montagnes qui la bordent, on se croirait en Beauce.
De vastes cultures céréalières plantées parfois d’oliviers.
De temps en temps un bouquet d’arbres indique la présence d’un village ou d’une grosse ferme.
Nous longeons aussi de grandes orangeraies.
Ah ! Les oranges d’Algérie : les meilleures que j’ai mangées. Elles sont très grosses et ont une peau épaisse. Elles sont juteuses et très sucrées. J’ai participé plusieurs fois au vol organisé de ces oranges pour améliorer notre ordinaire. Ces orangeraies sont souvent surveillées par un gardien qui nous laisse faire de peur de représailles. N’importe comment il ne va pas prendre de risques pour un salaire de misère.
Rassurez-vous, braves gens, en deux ans j’ai peut-être rapiné trois ou quatre fois sans plus.
Notre arrivée à Carnot passe à peu près inaperçue. Il faut dire que nous n’étions qu’une douzaine de nouveaux.
Le passage aux affectations nous donne notre lieu de villégiature dans les quatre différentes batteries et le Poste de Commandement du régiment : en abrégé le PC.
Nous croisons pas mal de troufions qui n’ont pas l’air d’être débordés. C’est une vrai fourmilière.
Je me suis souvent demandé à quoi pouvait servir tous ces militaires au PC d’un régiment. Il y a pas mal de gradés.
Qui a dit qu’il y a de la planque dans l’air ?
C’est ainsi que je me trouve affecté à la 4e batterie basée à Kherba au pied des montagnes du massif El Anay.
Une parenthèse, pour les néophytes. Cette batterie est, à peu près, l’équivalent d’une compagnie dans l’infanterie.
Le paquetage en bandoulière, nous sommes prêts pour notre ultime destination. Un camion GMC nous attend. C’est certainement le meilleur camion transport de troupes de l’armée. J’aurai l’occasion d’en reparler.
Accostés par des troufions du PC avant notre départ, j’apprends, avec stupeur, que ma future batterie est en réalité un commando de chasse. Tous sont unanimes. Tu n’as pas de chance, il n’y a pas pire dans le coin.
Qu’à cela ne tienne, je verrai bien. N’importe comment je n’ai pas le choix : en route pour le commando.
Je n’avais vraiment pas la moindre idée de ce qui m’attendait.
Et oui, peu de gens savent qu’il y avait des commandos du contingent en Algérie et encore moins dans l’artillerie.
Pour votre gouverne messieurs les médias il n’y avait pas que des Commandos Marine à l’époque.
Je n’ai jamais compris pourquoi on associe toujours les commandos à la marine. Il n’y a pas que la marine qui en possède. Le notre en est la preuve.
C’est quand même incroyable que tant de personnes racontent tout et n’importe quoi sur des sujets qu’ils ne connaissent pas. On pourrait écrire des dizaines et des dizaines de livres sur l’incompétence, dans tous les domaines, de certains professionnels de l’écriture.
Je me suis toujours demandé comment des gens, réputés intelligents, pouvaient avoir des réflexions aussi débiles sur la guerre d’Algérie.
« Pourquoi les jeunes appelés n’ont pas refusé, ne se sont pas révoltés, contre cette guerre injustifiée et inqualifiable ».
C'est très facile de raisonner ainsi cinquante après, surtout quand on n’y a pas participé, ni de près, ni de loin.
N’oubliez pas, messieurs, que nous n’avions que vingt ans. Nous n’étions même pas majeur à l’époque. Certains d’entre nous ne sont jamais sortis de leur village natal, très peu de leur département. J’avais pas mal de copains qui savaient à peine lire et écrire.
Je me souviens que, pendant mes classes à Melun, ils avaient la possibilité d’apprendre les rudiments de notre belle langue.
Aujourd’hui il y a toujours des analphabètes mais il n’y a plus l’armée pour corriger ces lacunes. Le service militaire obligatoire n’existe plus. Quelle bêtise !
Ceci est une réflexion personnelle qui n’engage que moi bien sûr.

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