mercredi 13 octobre 2010

LES OPERATIONS

Je me rappellerais toujours de ma première opération car elle est le symbole de l’imbécillité de certains militaires.
Notre chef d’unité, à l’époque, était un capitaine. Autant que je me souvienne cette première sortie était de courte durée : vingt quatre heures je crois. Rassemblement dans la cour avec sac à dos et armement pour une revue d’effectifs. Petit pitch du commandant. « Pour les nouveaux, bien venue au camp. Pour certains en particulier : je n’aime pas les sursitaires. Messieurs les sursitaires, je me charge de vous en faire baver ». Cela commence bien : bonjour le moral. Monsieur « mon capitaine » oublie un détail important. Nous, nous sommes obligés de venir : lui pas, il est volontaire. Mon copain GG l'a retrouvé grâce à internet. Monsieur mon capitaine a fini sa carrière comme général.
J'ai une mise au point à faire à ce sujet.
Les médias disent que nous étions volontaires. C'est faux, complètement faux: aucun de mes copains et moi-même n'étions volontaires.
Les premiers éléments, à la création du commando, étaient volontaires.
Par la suite, devant le manque de candidature, l’armée a pratiqué, ce qu’on appelle le volontariat d’office. Ce fut mon cas. Je fais cette mise au point car, là aussi, beaucoup de monde, y compris les médias, croit que nous étions tous volontaires. Je n’ai jamais demandé à faire partie d’un commando, on m’y a contraint.
Cette présentation sympathique étant faite, revenons à nos moutons.
Nous partons à pieds et en colonne en direction du djebel El Anay situé derrière le village. Pas besoin de camion pour cette destination toute proche. Pour ce premier « crapahutage » en montagne et dans l’ignorance des besoins, je me suis équipé comme les anciens.
Côté vestimentaire je mets ma tenue commando : veste et casquette camouflées et petit pull kaki sous la veste. Les poches de côté de mon treillis sont gonflées à bloc. Le treillis est le pantalon militaire.
J’y mets des babioles comme mon chèche, mes gants et quelques morceaux de sucre pour redonner du tonus en cas de défaillance.
Le chèche est une longue écharpe africaine utile à beaucoup de chose. Il sert surtout à faire des turbans. Je l’ai utilisé, entre autre, pour me couvrir le nez, la bouche et les oreilles en plein siroco.
Par précaution je mets ma veste fourrée dans mon sac avec un bidon d’eau, des chaussettes de rechange et mes rations. J’ai également mon quart. Il a la forme du bidon et s’adapte au cul de celui-ci.
Ah ! Le quart du troufion, c’est également tout un poème.
Le quart est la tasse réglementaire de l’armée.
Il est en aluminium comme le bidon et possède deux anneaux pliables en guise de poignée.
Nous nous en servons aussi bien pour boire un coup de flotte qu’un coup de picrate, de café ou de gnole. Nous ne le lavons qu’à l’eau froide et encore pas toujours. Il devient vite culotté comme une pipe. Il est aussi crasseux à l’intérieur qu’à l’extérieur. Nous l’utilisons sur des feux de bois ou sur le poêle de notre chambrée pour chauffer de l’eau, du vin ou du café. Il devient vite très noir à l’extérieur avec la fumée.
En un mot, il est franchement « dégueulasse ».
C’est également à la gueule du quart que l’on reconnaît les anciens.
Je suis chaussé de mes pataugas toutes neuves.
Je porte également mes cartouchières et une autre gourde d’eau à la ceinture dans sa housse de protection. J’ai également mon fusil et ma musette de chargeurs FM qui repose en haut du dos sur le sac. L’air de rien ça commence à faire du poids surtout au bout de vingt quatre ou quarante huit heures de marche.
Jugez en par vous mêmes. La musette fait une dizaine de kilo, le fusil aussi.
Avec le sac à dos nous avons donc dans les trente kilo sur le dos.
Nous sommes en novembre. Les grosses chaleurs sont terminées et il ne pleut pas : l’idéal quoi. Je ne vous en dirai pas plus sur cette première sortie car, je l’avoue, je m’en souviens très peu.
Par contre je peux vous raconter le déroulement habituel de nos marches en montagne avec nos nuits à la belle étoile.
Nous progressons en file indienne sur toutes sortes de chemins : routes en terre ou sentiers muletiers. Parfois il n’y a ni l’un ni l’autre. Nous crapahutons alors sur des pentes raides semées d’arbustes et d’arbres rabougris. On monte, on descend. Le sol est souvent jonché de rochers et de cailloux qui roulent sous nos pieds. Nous traversons des ravins et longeons des oueds souvent secs.
Avec plus de trente kilo sur le dos ça devient vite très pénible.
Tout cela se fait dans le silence et toujours avec la crainte de faire de mauvaises rencontres. Après plusieurs heures à ce régime les jambes commencent à avoir du mal à suivre. En hiver nous sommes imbibés de pluie. En été il fait plus de soixante degrés au soleil et là c’est la transpiration qui nous colle à la peau.
A ce régime le dos et les reins en prennent un sacré coup. Actuellement je suis sujet aux maux de dos et lombagos. Je pense que ces pérégrinations, chargé comme une mule, en sont pour quelque chose.
L’ordre de marche n’est pas toujours le même. Le capitaine donne ses directives au départ.
Cent bonhommes espacés les uns des autres d’une dizaine de mètres font une longue colonne. Quand le terrain s’y prête les sections prennent des itinéraires différents. Cette technique, en plus de la discrétion, permet un ratissage plus large du secteur.
Au bout de quelques heures on commence à traîner les pieds et à tirer la langue. De temps en temps nous avons droit à une pause de cinq minutes.
Pendant ces arrêts nous gardons notre bardât sur nous pour pouvoir repartir très vite. Là aussi j’ai appris des anciens. Pour soulager le dos et les reins tout le monde a la même solution.
Il faut s’asseoir, accoté à un talus ou à flan de montagne et, si possible, avec une motte de terre ou un caillou sous le sac à dos. C’est très efficace : les épaules sont allégées. Cette technique permet également de se lever très vite et de se mettre à l’abri en cas de besoin. Il faut toujours être vigilent pour sa sécurité.
Elles paraissent toujours trop courtes ces pauses. Le temps de boire un coup de flotte et on repart.
En été nous ne buvons que deux ou trois gorgées car il faut économiser notre eau.
Nous nous arrêtons plus longtemps à l’heure du déjeuner pour manger nos rations. Au cours de nos repas champêtres il est bien sûr exclu d’allumer un feu. Vous comprenez bien pourquoi.
Nous mangeons donc toujours froid, été comme hiver.
Le soir nous nous installons du mieux possible pour dormir à la belle étoile.
En tête de colonne il y a toujours trois ou quatre éclaireurs. Ils marchent trente ou quarante mètres devant, au-dessus ou en contrebas des chemins quand c’est possible. Leur mission consiste à nous guider sur la bonne piste et, surtout, à détecter les pièges éventuels : mines, grenades piégées et autres divertissements…
En général nous observons un silence radio pendant ces marches. Pourquoi ? C’est très simple. Nos copains d’en face sont équipés de postes transistors qui leur permettent d’entendre un émetteur radio à une distance raisonnable. J’ai testé le système : c’est très efficace. La progression en file indienne nécessite d’observer certaines règles.
Dans la journée on garde une distance de huit à dix mètres, parfois plus, avec celui qui précède pour éviter l’hécatombe en cas d’embuscade. La nuit c’est une autre paire de manche.
Tout dépend de la clarté du ciel.
Par nuit très noire une distance de moins de deux mètres est fréquente. Il ne faut surtout pas perdre de vue celui de devant. Il n’est pas rare que la colonne s’arrête pour recoller les morceaux.
Pourquoi ces marches de nuit ?
Tout simplement pour passer inaperçu et être en position à l’endroit voulu avant le lever du jour. Croyez-moi c’est payant. Beaucoup de fellaghas en ont fait les frais.
oximité d’un village. Là, nous sommes vite repérés. Il y a toujours beaucoup de chiens dehors qui se chargent de prévenir leurs maîtres de notre présence. Personne ne sort de sa mechta pour nous regarder passer. Parfois une petite lumière filtre sous la porte. Nous ne traversons que très rarement des villages puisque nous opérons la plupart du temps en altitude et donc en zone interdite. Ces zones sont des régions non autorisées aux civils. Pratiquement toutes les régions montagneuses sont en zone interdite.
Elles ont été évacuées à une certaine époque afin de pouvoir les contrôler plus facilement.
Les villages qui s’y trouvent sont en ruines aussi, dans ces coins perdus, nous tirons sur tout ce qui bouge.
Avis aux amateurs.
Les marches de nuit sont également propices à toutes sortes de pièges. Les pièges ! on connaît aussi. Au cours de l’une de ces marches les éclaireurs sont tombés sur un guetteur : on appelle ça un « chouf ». Sa mission consiste à surveiller tout un secteur et à rendre compte. Ils sont tellement bien camouflés que, la plupart du temps, nous ne les voyons pas. Je pense que celui-là manquait d’expérience. En général ils ne sont pas armés. Celui-ci a été abattu . Nous l’avons piégé avec deux ou trois grenades quadrillées si bien qu’au moindre mouvement du corps, tout saute. Nous ne restons pas là pour voir le résultat.
Rien n’est trop dur pour un commando : ni le froid, ni la pluie, ni la chaleur, ni la neige, ni les difficultés du terrain, ni les kilomètres. Non, non, ce n’est pas une erreur. J’ai eu de la neige en janvier février dans les montagnes d’Algérie. Tout le monde en bave. Les moins résistants ne sont pas ceux qu’on croit. Les gros balaises ne tiennent pas le coup. Certains sont déplacés dans une autre unité au bout d’une semaine ou deux.
Le fait d’avoir pratiqué beaucoup de sport, avant ma venue en Algérie, m’a rendu un sacré service.
A l’inverse, j’aurai peut-être été planqué dans un bureau.
N’ayons pas de regret : la vie est comme elle est.
Il y a également ceux qui sont dangereux pour leurs copains car ils ont trop la trouille. Ceux-là aussi sont renvoyés. Vous allez me dire : ils font peut-être semblant. Non je ne crois pas, à moins d’être un super acteur. Ce n’est pas le cas. Je pense qu’il est impossible de tricher avec des visages aussi expressifs, des visages de peur. J’ai eu l’occasion d’en côtoyer un dans notre section. Il n’arrêtait pas de rouspéter. Il avait toujours son fusil à l’épaule et faisait tout n’importe comment.
Comme il devenait dangereux et était un fardeau pour nous, il a été viré du commando et expédié dans une autre batterie sur un piton.
Certains militaires de haut rang ont compris que la meilleure façon de contrer les fel sur leur terrain est de pratiquer la guérilla comme eux. La plupart du temps ceux-ci ne sont jamais bien nombreux, au maximum quelques dizaines d’individus. Ils ne sont pas toujours bien armés. Beaucoup n’ont que de vieux fusils de chasse. Leur force est dans leur équipement très léger et surtout dans leur rapidité de déplacement n’importe où, n’importe quand.
Les seuls Français à pouvoir rivaliser avec eux sont la légion et quelques unités de paras.
C’est trop peu et c’est en grande partie pour cette raison que les commandos de chasse ont été créés.
D’ailleurs on retrouve souvent les mêmes pour les coups durs sur le terrain :
- les bérets verts de la légion
- les bérets rouges des paras
- les bérets noirs des commandos
Au cours de mon séjour dans cette unité j’ai également entendu parler des commandos Viet. Je ne les ai pas rencontrés personnellement.
Ce sont des unités d’engagés vietnamiens que l’armée a ramené d’Indochine et qui se sont normalement retrouvés en Algérie. Ils étaient présents dans tous les gros coups, aux avant-postes. Il paraît qu’ils ont eu de grosses pertes au début de la guerre.
Je n’aime pas les para car ils sont souvent crâneurs.
Par contre nous nous sommes toujours bien entendus avec les légionnaires. Ils nous respectent sur le terrain. Il m’est même arrivé de boire l’apéro avec eux à Alger.
Là aussi il faut remettre les pendules à l’heure.
Quoiqu’en disent certains, la légion a été et est toujours, pour moi, bien plus efficace sur le terrain que les paras. C’est assez logique car les légionnaires, à l’époque, étaient des soldats de métier.
Et si nous revenions à nos moutons.
Comment s’organisaient nos nuits à la belle étoile, souvent à plus de mille mètres d’altitude ? La tactique la plus utilisée est de s’installer au-dessus d’un sentier, d’un chemin, à flan de coteau d’un piton.
Chaque équipe se voit attribuer un secteur avec une direction bien précise de surveillance. Bien entendu nous nous servons de la topographie du terrain pour nous camoufler au maximum. Ce n’est pas toujours facile quand il n’y a pas un arbre. Les équipes sont à faible distance l’une de l’autre et dos à dos pour éviter les mauvaises surprises par derrière.
Chacun s’installe pour manger avant la nuit.
Au menu : boites de conserves, pain, orangeade et eau, sans oublier le petit coup de gnole et la dernière cigarette. Comme je vous l’ai dit, nous mangeons toujours froid, même l’hiver. Nous n’avons pas d’ouvre-boîtes aussi nous nous servons carrément de nos couteaux respectifs pour ouvrir nos conserves. Nous mangeons avec ces couteaux ou avec nos doigts.
Nous sommes écologistes avant l’heure car nous ne laissons rien traîner.
Ce n’est pas par respect de la nature mais pour effacer toutes traces de notre passage. Après ce succulent repas, installation pour la nuit et établissement des tours de garde de l’équipe.
Chacun fait une heure à une heure et demie de surveillance. Nous postons un garde par équipe.
Cette organisation permet aux autres de dormir un peu pour récupérer des fatigues de la veille. C’est la dernière heure de garde que je préfère. Voir le jour se lever sur les montagnes, c’est magnifique. C’est souvent la même montre qui circule pour éviter les contestations. Une heure et demie de garde c’est long la nuit, surtout en pleine nature. On entend les chacals japper. Parfois ils sont très près de nous. Les chacals et les sangliers ont souvent été pris à partie pendant la nuit. Je ne crains pas de le dire : j’ai souvent eu la trouille. Ceux qui disent le contraire sont soit des malades, soit des menteurs.
Pourtant, on risque moins un mauvais coup la nuit que de tomber dans une embuscade de jour. Je garde le souvenir des tensions suscitées par ces gardes de nuit en pleine nature. Tous les sens sont en éveil et, plus particulièrement, l’ouïe qui se développe comme la vue. Le moindre bruit nous met en alerte. Il y en a beaucoup, surtout en moyenne montagne.
Pour passer le temps pendant ma garde, je fume une cigarette sous ma veste ou ma djellaba.
Si le temps est clair j’observe la voûte étoilée. Que c’est beau quand il n’y a pas de pollution.
A ce sujet, j’ai une anecdote qui aurait pu nous coûter très chère. J’étais chef d’équipe à l’époque. Au cours d’une nuit sur le terrain, un harki s’est endormi pendant son tour de garde.
Personne pour veiller pendant au moins cinq heures.
Tout le monde s’est réveillé comme un seul homme au petit matin. Je ne vous parle pas de l’engueulade qui a suivi. Le pire aurait pu nous arriver. Cela ne s’est jamais reproduit.
Encore une autre anecdote à vous raconter. Le terrain est souvent truffé de cailloux et d’arbres. Une précision au sujet des forêts. Il y a très peu de grands arbres. La végétation est composée principalement de chênes- lièges et de chênes verts. Il m’est donc arrivé de dormir dans ces arbres. Je me revois encore chercher la bonne fourche de grosses branches : une branche pour se caler le dos et une autre de chaque côté pour ne pas basculer. Je laisse mon sac à dos au sol mais je garde mon arme.
Beaucoup de gens ne me croient pas quand j’évoque ce souvenir et pourtant c’est la vérité.
Il faut dire, qu’à l’époque, j’étais capable de dormir n’importe où. Heureusement car il faut récupérer de la fatigue du jour et être en forme le lendemain pour crapahuter encore et encore. On a l’impression que ça ne va jamais s’arrêter.
Des anecdotes comme celle là je vous en raconterai souvent, plus incroyables les unes que les autres.
Le réveil au petit jour est parfois pénible.
Les courbatures des efforts de la veille sont là.
En général le petit « dej » froid est vite pris et refaire son sac tout autant.
Il n’est, bien sûr, pas question de se toiletter. Par souci d’économie, nous nous rafraîchissons les yeux, la bouche et la gorge avec seulement une tasse d’eau.
Une vérification de son armement s’impose et nous sommes prêts à repartir.
Nous ne repartons pas toujours tout de suite. Parfois nous restons deux ou trois heures à poste. L’heure matinale est souvent propice pour tendre une embuscade.
Nous aussi nous savons le faire.
Mon séjour à Kherba est de courte durée : un mois, peut-être un peu plus.
C’est à Kherba que je me fais mes premiers copains : surtout G… et T... Il y en a d’autres mais j’ai oublié leurs noms. Nous serons ensembles pendant quelques mois. Arrivés avant moi, ils partiront avant moi.
G… sera mon voisin de lit après notre déménagement à Rouina.
Les opérations se suivent sans beaucoup de répits.
Comme nous sommes souvent ravitaillés sur le terrain, nous ne connaissons jamais la durée de nos sorties.
Il est fréquent de partir trois jours, de revenir pendant un ou deux jours au camp et à nouveau de repartir pour un, deux, trois, quatre jours.
Quand nous sommes opérationnels, nous ne restons jamais plus de deux ou trois jours d’affilé au camp : trois jours c’est exceptionnel.
Vous voyez c’est la vie de château.
Nous ne partons jamais avec plus de deux jours de ration et deux gourdes d’eau sur nous. Nous sommes ravitaillés sur le terrain la plupart du temps par un camion. Malgré les cinq ou six gars bien armés qui l’accompagne, je pense que le chauffeur ne doit pas être tranquille de rouler dans ces coins reculés.
Quand il n’y a aucun moyen d’accès c’est un hélicoptère Sikorsky qui nous apporte les rations, le pain et surtout l’eau.
L’eau est primordiale. Sans elle nous nous affaiblissons très vite. Il n’y a pas d’eau dans ces montagnes, sauf quand il a plu pendant plusieurs jours en hiver. Nous apprenons très vite à l’économiser. Je sais maintenant que la soif, voir la déshydratation, est beaucoup plus dure à supporter que la faim. Quand nous souffrons des deux, c’est dur, très dur.
Des opérations, j’en ai fait des dizaines et des dizaines avec un accrochage avec les rebelles presque à chaque fois. Quand ça ferraille dans tous les sens, on fait une prière pour que la balle, la bastos comme on disait, ne vous touche pas.
Inch’Allah ( à la grâce de dieu ).
Je vous raconterai quelques accrochages bien que ce ne soit pas le but de mon livre. D’autres s’en sont chargés avant moi avec plus ou moins de bonheur. Je ne vous raconterai pas non plus de scènes de torture.
Je laisse ça aux spécialistes. Des sadiques ! Il y en a partout. Une chose est certaine : nous ne faisons que très rarement des prisonniers.
Mon accoutumance à toujours surveiller tout ce qui m’entoure, de près comme de très loin, a développé mon acuité visuelle. J’ai toujours conservé cette faculté d’observation.
Je me souviens de mon baptême du feu quand nous étions à kherba. L’opération était de courte durée : une journée. Cette fois il s’agit d’un ratissage en plaine dans des zones habitées. Le ratissage consiste à s’étaler tous en ligne à bonne distance l’un de l’autre et à avancer tous ensembles.
Ce genre d’opération se fait presque toujours à la suite de renseignements obtenus de différentes façons, pas toujours très avouables.
Quand je pense que certains militaires, très connus, se refusent à admettre la pratique de la torture en Algérie.
Les guerres propres n’existent pas, elles sont toutes sales.
Cet aparté étant fait, revenons à notre ratissage.
Nous avançons donc tous en ligne et nous fouillons tout : les trous, les haies, les habitations appelées mechtas, les étables et tous les cabanons.
Là aussi nous savons faire. Tout est passé au crible : les buffets, les coffres, les lits, les vêtements… Ce n’est pas toujours ragoûtant car souvent d’une très grande pauvreté. Les femmes et les enfants sont dehors bien avant notre arrivée.
Les hommes ne nous ont pas attendu pour partir.
Il ne reste que quelques vieux dans le village.
En général nous les rassemblons dans un coin pour effectuer un contrôle d’identité et un interrogatoire.
A notre passage les vieilles femmes ne se gênent pas pour nous crier dessus. Stoïques nous continuons nos fouilles.
Le but consiste principalement à trouver des armes. Nous avons découvert beaucoup de caches d’armes dans des endroits pas possibles.
Notre réputation nous a précédé et elle n’est pas très bonne. Maintenant je comprends ce regard de peur sur les visages des enfants et des femmes. Il faut dire que notre allure n’est pas toujours avenante.
Certains sont chaussés de rangers, d’autres de pataugas. Certains ont leur casquette, d’autres pas. Beaucoup sont débraillés. Autrement dit « de vraies gueules d’amour ».
S’il vous plait, ne jugez pas trop vite.
N’oubliez pas que certains d’entre nous sont dans ce merdier depuis bientôt un an.
Là aussi je ne peux m’empêcher de penser à la soit disant pacification.
Je ne crois pas que l’on puisse faire la guerre comme nous l’avons fait et pacifier les habitants en même temps. C’est incompatible. Il fallait bien faire plaisir aux politiques. En tout cas, nous n’avons jamais pratiqué la pacification dans notre unité mais la guerre.
Tout à coup, alors que nous avancions en terrain découvert, nous essuyons une rafale d’arme automatique.
Tout le monde s’est retrouvé à plat ventre, le nez dans la terre en moins de deux. Rien pour s’abriter.
Je n’en menais pas large et mon copain G… à côté de moi non plus. Personne n’est touché. Il y a deux ou trois gars planqués dans une cache au fond d’un trou.
Je pense que l’un d’eux a paniqué de nous voir si près et a ouvert le feu. Il n’aurait pas dû. Encore d’autres rafales. Nous restons toujours le nez par terre.
Une section s’est approchée, a balancé quelques grenades et l’affaire a été réglée en moins de cinq minutes.
Voilà ma première rencontre avec ceux d’en face. Plus de peur que de mal.
Ce ne sera peut-être pas toujours le cas et je me pose des questions. Je comprends plus facilement la nervosité de certains après dix mois de bled.
Mon séjour à Kherba est de courte durée. Tout le monde fait ses bagages et en route pour Rouina qui n’est pas très loin. C’est curieux, je n’ai aucun souvenir de ce déménagement. Par contre, je me rappelle très bien ce village.
Il est situé de l’autre côté de l’oued Chélif, en plaine sur la N4. Rouina est un peu plus gros que Kherba.
Le nouveau camp est un peu…, disons moins mauvais. L’accès se fait par une petite route en terre de deux cent mètres de long à partir de la N4. Il est à l’écart du village : ce qui n’est pas plus mal. C’est un corps de ferme appelé « la Ferme des Grosses Têtes », assez important et constitué d’une grande cour intérieure entourée de bâtiments bas.
Les lieux étant trop isolés, les propriétaires sont partis vivre en ville. C’est intéressant pour eux d’avoir l’armée dans leurs murs.
Nous protégeons leurs bâtiments et leurs centaines d’hectares de terre cultivée.
Ces terres sont des cultures céréalières, parfois plantées d’oliviers.
C’est riche, très riche.
Un seul de ces bâtiments est plus imposant et constitue certainement la maison d’habitation des propriétaires. L’accès dans la cour se fait par deux entrées opposées: l’une au Nord, l’autre au Sud.
Au milieu de cette cour trône un marabout : petit bâtiment religieux en dur équipé d’un dôme et peint en blanc.
A côté du marabout il y a le rituel mat porte-drapeau. Deux gars montent et descendent les couleurs tous les jours. Cette coutume militaire n’a pas pu être supprimée. Quelques petits arbres agrémentent la cour intérieure. La maison principale est attribuée à notre encadrement : le commandant et les chefs de section. Les sections un, deux et trois sont cantonnées dans les autres petits bâtiments de la cour.
La section quatre, la notre, est logée à l’extérieur des murs dans une sorte de hangar à machines agricoles. En face nous avons une espèce de palmier et un sapin avec un nid de cigogne en haut. Le nid est fréquenté tous les ans.
Des cigognes il y en a partout. Elles font un sacré raffut.

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