mercredi 13 octobre 2010

LE CANTONNEMENT


Notre cantonnement, à Kherba, se trouve dans de vieux bâtiments mi-corps de ferme mi-hangars dans le village même. Notre installation est plutôt rudimentaire. Le sol est en terre battue. Nous dormons dans des lits à étage qui sont équipés d’un drap « sac à viande » et d’une couverture. Le « sac à viande » est le drap du dessus et le drap du dessous cousus ensembles sur les côtés et au fond. Nous sommes un peu serrés dedans, aussi, en été, nous dormons sur le dessus à cause de la chaleur. En guise d’armoire c’est la débrouille car il n’y a rien. Nous n’avons même pas un placard. Nous récupérons de vieilles caisses à grenades en bois qui nous servent de coffrets à bijoux. Elles nous permettent de ranger le peu d’objets personnels, de courrier et d’argent que nous avons et sont en général cadenassées.

Encore une parenthèse pour vous dire qu’en deux ans je n’ai jamais entendu parler de quelque vol que ce soit. Quant à nos vêtements, ils sont entassés dans nos deux paquetages rangés sous nos lits. L’hiver notre blouson reste sur un portemanteau à la tête de notre lit. Nous n’avons pas de fer à repasser. Pour le pantalon la technique du repassage consiste à le plier correctement sous le matelas du lit pendant quelques jours.
Je l’ai souvent pratiqué.
Tout le monde est dans le même merdier, tout le monde est solidaire. Pourtant il n’y avait pas que des enfants de cœur dans cette unité. Certains avaient déjà goûté à la prison dans le civil et, selon les rumeurs, y retournaient après leur service : de vrais « gueules d’amour ». Il faut voir comment ils sont fringués. Ce n’est pas toujours réglementaire mais ils s’en foutent. Ils ont parfois une dague à la ceinture à la place du couteau commando. Je crois que la dague était à la mode. Ils l’ont achetée à Affreville ou Orléansville. Ces gars là constituent les meilleurs éléments de l’unité. Comme ils n’ont peur de rien, on peut toujours compter sur eux. Ils ne vous laissent jamais tomber. Malgré le manque de discipline le commando est très efficace sur le terrain.
Il n’est donc pas nécessaire d’être toujours au garde à vous et d’avoir, comme on dit, le petit doigt sur la couture du pantalon.
N’en déplaise à certains gradés, c’est la qualité physique et morale de chaque soldat qui fait la valeur d’une unité de combat. La guerre ce n’est pas de l’entraînement. Je peux vous assurer qu’il n’y avait pas de fils à papa mais, en grande majorité, des ouvriers, des artisans, des commerçants et des paysans.
Un petit mot sur les sanitaires et autres douceurs du camp.
Evidemment nous nous lavons exclusivement à l’eau froide. L’eau chaude est un luxe que nos moyens ne nous permettent pas. Nous ne sommes pas dans un hôtel cinq étoiles. En guise de lavabos nous avons des bacs en tôle équipés d’un tuyau et de quelques robinets pas toujours en très grande forme. L’écoulement se fait à même le sol dans une rigole sur quelques mètres : après ça se débrouille.
Pour la douche, collective bien sûr, l’équipement est identique : tuyau et pommeau, non réglable, en hauteur. Comme les tuyaux de douche ont un parcours aérien, il faut faire très attention en été.
Les premiers qui s’en servent ont de l’eau chaude gratuite. La première fois on est ébouillanté comme des écrevisses. C’est normal avec plus de soixante degrés au soleil en été.
Il faut que je vous parle des WC. Ah ! Les WC, tout un poème, le luxe suprême. Imaginez une fosse creusée à même le sol dans un coin du camp.
Elle mesure environ trois mètres de long sur deux mètres de large pour un mètre de profondeur. Elle est équipée de deux ou trois poutres en bois dans le sens de la longueur. Elle est entourée d’une palissade d’un mètre de haut avec une porte d’entrée sans porte. C’est vraiment le WC collectif. Je vous donne le mode d’emploi : ça peut toujours servir.
Blague mise à part, je ne vous le souhaite pas.
Vous vous installez en travers les deux pieds sur une poutre. Vous baissez le pantalon et vous faites ce que vous avez à faire. En hiver il ne faut pas trop traîner car le service trois pièces est à l’air. Si vous n’êtes pas tout seul vous discutez avec votre voisin. Avant tout vous essayez de garder l’équilibre pour ne pas tomber dans le trou. C’est arrivé et le résultat n’est pas reluisant. Imaginez aussi l’air pur que l’on y respire en été quand il fait plus de quarante degrés à l’ombre et qu’il faut également se battre avec les mouches.
Quand la fosse est pleine, on la rebouche et on en installe une autre plus loin.
En parlant de sanitaires, je me souviens avoir attrapé une bonne dysenterie un été qui a duré quelques jours. J’ai de la chance car, là aussi, je suis un des rares soldats à l’avoir eu qu’une seule fois.
Il faut également que je vous parle de la cantine. J’ai eu l’occasion de visiter les cuisines. Ce n’est pas le top du top non plus.
Les plats sont mijotés sur des cuisinières de campagne à feu de bois datant de la guerre de 14-18.
Le café, enfermé dans des sacs en jute, est mis à tremper dans une marmite d’eau pendant toute la nuit. Il est réchauffé le lendemain matin pour notre petit déjeuner. Cela ne vaut pas l’expresso italien mais, après trois ou quatre jours d’opération, nous le trouvons très bon. La viande de bœuf, quand il y en a, est du surgelé mis à décongeler pendant plusieurs jours.
Le plus gros travail des cuistots est d’enlever, au couteau, petits morceaux par petits morceaux, le papier de protection collé à cette « barbaque ». Nous arrivons quand même à la manger malgré qu’elle soit toujours bien cuite. Tout compte fait il vaut peut-être mieux qu’elle soit trop cuite. Notre plat préféré est le steak frites comme les mômes.
Nous avons souvent des fayots. Dans ces cas là nous avons droit, le soir, à des récitals en tout genre. Il y a même des concours.
Nous n’avons pas de réfectoire pour l’instant. Les repas se prennent dans nos hangars-dortoirs respectifs.
Deux ou trois copains vont s’approvisionner aux cuisines pour toute la section. Nous mangeons sur des tables en bois assis sur des bancs. En général il y a de l’ambiance, sauf quand la bouffe n’est pas bonne. Tous ces repas sont accompagnés d’un vin rouge en vrac dans des bidons.
Je ne saurai définir ce picrate, ni sa provenance, ni son cépage et encore moins son année. Je me demande s’il y a du raisin là dedans.
Le repas du soir est du même acabit.
Pour améliorer l’ordinaire nous nous rabattons sur les colis expédiés par notre famille de métropole. Là aussi l’amitié est présente. En règle générale nous partageons ces colis avec les copains. Certains n’en reçoivent jamais. Les sous-officiers et les officiers, à partir du grade de brigadier-chef, mangent au mess.
L’après-midi, après ces repas de « fiesta », nous nous attelons aux corvées du camp. L’armée y pourvoit. Il n’est pas question d’errer dans le camp, désoeuvrés.
Il faut nous occuper sainement l’esprit.
Les corvées consistent à nettoyer la piaule et le camp, à renforcer nos barbelés de défense et nos postes de garde, à faire les « pluches » aux cuisines. Comme tout troufion qui se respecte, pour toutes ces corvées, il n’y a pas « le feu au lac ». Nous prenons tout notre temps pour exécuter ces basses besognes. A la fin des corvées, un petit tour au bar du camp n’est pas de refus. Il n’y a pas d’alcool fort genre pastis ou autre (quoique…) mais de la bière, du jus d’orange, de la limonade. Comme la bière n’est pas toujours très fraîche, malgré le frigo, nous la buvons additionnée d’un peu de grenadine : ça s’appelait un « tango ».
La petite bouteille d’orangina, vous savez celle qu’on doit secouer avant de la boire, s’appelait une « couille » mesdames.
Je pense, d’ailleurs, qu’elle était moins gazeuse à l’époque et, surtout, plus naturelle. Quoique non servi au bar, des petits malins arrivent toujours avec un reste de picrate de midi.
Il n’y a qu’un serveur au bar. Lui aussi a la planque.
Je me souviens qu’il était dans notre section à son arrivée. Je l’ai eu comme porteur de musette quand j’avais le FM. J’ai une photo où on le voit derrière moi en opé. Il n’est pas resté longtemps dans la section : des problèmes de santé sans doute.
Le bar est constitué d’une salle intérieure avec un comptoir et d’une sorte d’avancée à l’extérieur avec un toit et ouverte sur les côtés.
C’est l’extérieur qui est le plus fréquenté, surtout en été. Je crois qu’il y avait quelques tables et quelques chaises.
Nous avons droit aussi à notre ration de paquets de cigarettes de troupe. Comme le nombre de paquets est limité, je m’arrange pour racheter la ration de non fumeurs.
J’en trouve aussi au bar mais ce sont des cigarettes Bastos plus chères. Les Bastos sont fabriquées en Algérie.
Après le dîner c’est la veillée.
Certains écoutent une radio sur leur petit transistor. D’autres font leur courrier à leurs parents, leur femme, leurs copains et copines. D’autres encore bouquinent toutes sortes de littérature , la bonne et la moins bonne, des bouquins de cul. Qu’importe, il faut occuper l’esprit pour tenir le coup. Quelques-uns jouent aux cartes. Il y a beaucoup d’amateur de tarot et de poker, souvent pour de l’argent. J’ai appris à jouer au tarot et au bridge là-bas. Je n’ai jamais eu l’occasion d’en rejouer depuis. De temps en temps on se tape une belote ou une coinchée.
Une autre particularité d’une unité combattante comme la nôtre : il n’y a pas de « mitard », de prison comme en métropole. Pourquoi ? Tout simplement car partir en opération est beaucoup plus dur que de rester enfermé au camp.
Quelle punition plus importante voulez-vous donner ? Il n’y en a pas. Donc un « mitard » est superflu.
Maintenant que le tour de la propriété est fait, revenons à nos moutons et parlons un peu de nos opérations sur le terrain.

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