mercredi 13 octobre 2010

LE STAGE COMMANDO

Comme d’habitude, la nouvelle nous tombe dessus sans prévenir.
Notre hiérarchie nous invite à revoir notre paquetage car dans deux jours nous partons dans l’Ouarsenis faire un stage commando.
Merde, il ne manquait plus que ça.
Certains anciens l’ont déjà fait il y a un an et nous garantissent du sport. Si je me souviens bien, le stage durait quinze jours. L’Ouarsenis est une montagne qui se situe au sud d’Orléansville et son sommet culmine à environ deux mille mètres. Le camp le plus proche est celui de Lamartine.
Ce nom me dit quelque chose . Après réflexion, je me souviens que c’était également une destination possible à la fin de mes classes à Melun. Il doit y avoir quelques anciens de ma section à Lamartine.
Nous n’y sommes pas allés pendant le stage.
Pour faire bonne figure nous touchons quelques habits neufs : pantalons, veste et casquette camouflées, pataugas.
Les armes sont vérifiées et astiquées.
Le jour J des camions viennent nous chercher et nous filons vers l’Ouarsenis. Après Orléansville la route D132 sinueuse et truffée de nids de poule traverse des gorges peu engageantes. A propos de nids de poule, vu l’importance, j’appelle ça des nids d’éléphant.
Le camp est situé en bordure du lac de retenue d’eau du barrage Steeg sur l’oued Fodda. Il domine le lac et est constitué de quelques grandes tentes qui vont nous servir de dortoir et de réfectoire pendant quelques temps. Nous nous contenterons de lits de camp pour dormir. Il y a un poêle qui trône au milieu de la chambrée pour nous apporter un peu de chaleur.
Nous sommes au mois de janvier et il ne fait pas chaud à cette altitude, même en Algérie.
Au-dessus du barrage, sur le rocher, il y a un petit village de quelques grandes maisons qui abritent les employés du barrage. Une route sur le barrage permet l’accès de l’autre côté.
Par contre, en face, il n’y a pas de route mais un sentier que nous empruntons souvent.
Les festivités commencent dès le lendemain.
Nous avons un instructeur dans chaque discipline. Je vous garantis que nous ne nous sommes pas amusés.
Je me dois de vous en raconter quelques bribes pour que vous ayez une idée de notre villégiature dans ce camp.
D’abord le fameux parcours du combattant.
Il domine le lac et est installé dans une montée.
Nous devons passer par une petite fenêtre taillée dans une espèce de cloison en bois. Il faut mettre son arme canon en avant sinon ça ne passe pas. Certains copains restent coincés. De l’autre côté il y a un comité d’accueil. Quelqu’un de bien intentionné nous balance une vrai grenade offensive dans les jambes. La technique consiste à faire quelques mètres et à s’allonger à plat ventre avant l’explosion.
Bien sur il y a toujours des petits malins.
Je me souviens d’un grand gars qui est resté debout au moment de l’explosion. Il a pris l’allumeur et la cuillère de la grenade dans les jambes. Il s’est retrouvé avec un beau trou dans un mollet. Ce n’est pas méchant mais le stage est fini pour lui.
Il faut aussi passer à plat ventre sous des barbelés. Vous allez me dire : ce n’est pas si terrible que ça.
Erreur, grossière erreur, car pendant notre passage, un instructeur nous tire dessus, juste au-dessus de la tête, avec un fusil mitrailleur. Ce ne sont pas des balles à blanc mais de vraies balles. Je me souviens de les entendre ricocher sur les piquets des barbelés. C’est pour ça que ces piquets sont en ferraille. En tournant la tête sur la gauche je les voies atterrir en bordure du lac dans la flotte. Ce n’est pas le moment de lever son cul sinon on hérite, gratuitement, d’un deuxième trou dans le derrière. Ensuite quelques plots en bois pas plus grands qu’une chaussure agrémente notre parcours. Rien de mieux pour se tordre une cheville quand on rate le plot.
Un peu plus loin nous avons droit à une autre petite douceur.
Nous devons passer debout sur une poutre ronde en bois de quatre à cinq mètres de long installée au-dessus d’un oued asséché. La poutre est de la taille d’un poteau téléphonique.
Rebelotte, pendant notre passage, nous avons encore droit à un tir de FM juste en dessous de la poutre. Il vaut mieux ne pas tomber sinon la rafale est pour nous. Un peu plus loin nous devons franchir un mur de plus de deux mètres de haut. La difficulté n’est pas insurmontable avec une bonne technique. Elle consiste à courir et à prendre appui avec un pied sur l’ouvrage avant de sauter.
Cette technique permet de transmettre l’énergie de votre course à votre saut. Vous vous retrouvez en haut du mur sans pratiquement aucun effort. Quelques uns calent sur ce mur. Ils doivent recommencer une, deux, trois fois. Ils finissent par apprendre. Les instructeurs sont là pour les aider. Après ce mur, il faut franchir un fossé . Ce parcours est truffé de petites douceurs de ce genre. Sans oublier que nous devons le faire en un minimum de temps sinon nous recommençons.
Nous passons également pas mal de temps à nous entraîner au tir avec différentes armes. Il n’y a pas de cibles comme dans un stand. Nous tirons sur des cailloux, des arbres, des vieilles cabanes. J’ai beaucoup tiré au FM dans toutes les positions possibles et inimaginables. Avec le FM le tireur est en position allongée. Il a à côté de lui un pourvoyeur qui, lui aussi, est allongé. C’est le pourvoyeur qui approvisionne le FM en chargeurs.
Le chargeur se trouve sur le dessus du FM. Cette technique permet au tireur de ne pas quitter la cible des yeux. Le pourvoyeur est également là pour diriger le tir. J’ai également tiré debout, le FM à la hanche, la main gauche sur la béquille et la droite qui tient la crosse avec un doigt sur la gâchette. Cela m’a rendu service par la suite quand j’ai récupéré le FM après le départ de G...
Avec la topographie du terrain que nous fréquentons en opérations, il est très rare de tirer dans la position idéale des manuels d’instruction.
Quand on tire très longtemps avec le FM il devient bouillant et on ne peut plus le toucher. J’ai également appris à pisser dessus pour le refroidir. Et oui, excusez-moi mesdames mais ça marche. Les mains ne sentent pas la rose après.
Pendant que certains tirent au FM, d’autres s’entraînent au tir de grenades à fusil ou, plus familièrement, de « patates ». Eux aussi finissent par devenir de bons tireurs, malgré la difficulté à estimer la distance de l’objectif et donc l’inclinaison du fusil.
J’ai encore une autre petite anecdote du même acabit, si l’on peut dire, à vous raconter. Nous nous sommes également entraînés au lancer de grenades à mains, des vraies pas des fausses. Nous devons lancer une grenade défensive dans un trou à une vingtaine de mètres.
La grenade défensive est la plus grosse des grenades à mains. Là aussi rien de bien terrible me direz-vous. Attendez, attendez, il ne s’agit pas de la lancer bêtement dans le trou.
Non, il faut, quand elle est dégoupillée et cuillère ouverte, la garder pendant quelques secondes dans la main, avant de la lancer. Il vaut mieux savoir compter.
Je n’ose pas penser à l’engin mal calibré et qui saute plus tôt que prévu : il n’y a plus de bonhomme.
Comble de bonheur, quelques jours après notre arrivée, nous nous sommes réveillés un matin sous la neige. Là ça commence à bien faire : nous aurons tout eu.
Une mince couche de neige recouvre tout sauf le lac bien sur. Ceci dit le paysage est magnifique avec le pic de l’Ouarsenis en toile de fond mais nous n’avons ni le cœur, ni le temps de l’admirer.
L’entraînement continue de plus belle. Neige ou pas, notre stage commando devient de plus en plus éprouvant. Quelques gars lâchent et sont rapatriés à Rouina. Nous avons le droit d’excursionner dans le djebel pour apprendre à nous déplacer du mieux possible. Le paysage est bizarre, pas franchement désertique mais il rend mal à l’aise. Le secteur a été ratissé des dizaines de fois. Je me suis longtemps demandé pourquoi cette sensation. J’ai fini par en connaître la cause. C’est le grand silence : on n’entend pas un seul oiseau, pas un seul chacal. Au cours d’un retour d’opération nous essuyons les tirs d’une autre unité au-dessus de nos têtes. Pas de panique nous dit notre instructeur.
« Quand vous entendez les balles siffler et bourdonner, il n’y a rien à craindre, elles passent à quelques mètres ». Il en a de bonne lui. A l’inverse, ça veut dire que si tu ne les entends pas elles sont pour toi.
Je ne vous ai pas parlé d’une autre activité de loisirs du camp : le close-combat.
Nous avons droit à une heure de cet exercice tous les matins sur de la terre truffée de cailloux. Nous apprenons, entre autre, à tuer un adversaire à mains nues et au couteau.
Je me souviens parfaitement de certaines prises.
Par exemple celle qui consiste à rompre les vertèbres cervicales d’une sentinelle avant qu’elle n’est le temps de crier. Le coup de pieds dans le bas du ventre fait également partie de l’apprentissage. Vous savez, mesdames, la partie la plus sensible chez l’homme : oh ! Que ça fait mal. Nous apprenons aussi à désarmer un ennemi qui vous menace d’un couteau.
J’apprends également à connaître les points sensibles du corps, à les localiser et à frapper.
Cette technique de combat rapproché doit toujours exister mais peut-être sous un autre nom.
Un stage supplémentaire est prodigué aux candidats éclaireurs. Il faut être volontaire. Mon copain T… en fait partie. Ils apprennent le déplacement de nuit. Pour l’exercice final ils sont largués dans la nature à quelques kilomètres en pleine nuit et doivent retrouver le camp par leurs propres moyens. Ils réussissent tous cet examen.
J’oublie certainement d’autres réjouissances.
En fin de journée nous glandons car nous ne pouvons même pas boire un coup. N’importe comment, comme nous sommes crevés, nous nous couchons assez tôt.
Voilà, je vous ai donné un petit aperçu d’un stage commando pendant la guerre d’Algérie.
Tout a une fin, même les bonnes choses. Nous revenons dans notre camp à Rouina. Maintenant que nous sommes bien aguerris, je me demande ce qu’ils vont nous mijoter.
Vous allez voir, la suite n’est pas triste non plus.

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