mercredi 13 octobre 2010

ENCORE UN STAGE

Mon adjudant-chef m’invite à rentrer au camp avec le camion car une mission m’attend là-bas. Je n’en sais pas plus et, sur le chemin de retour, je me pose pas mal de questions.
Quand j’arrive au camp l’adjudant d’ordinaire me convoque. Prépares ton paquetage, tu pars demain pour Alger faire un stage de radio. Celle là c’est la meilleure. Je m’attendais à tout sauf à ça. C’est pour remplacer un des deux radios du commando qui aura bientôt la quille me dit-il.
Vous pensez que je suis drôlement content : terminées pour moi les opérations.
Je commence à comprendre la manœuvre de mon chef de section quand il m’a envoyé tout seul dans le djebel.
Il savait que je partais à Alger et il m’a fait une vacherie avant de partir. De perdre un élément d’expérience ne lui a pas plu du tout.
Il y a deux radios au camp pour assurer la permanence vingt quatre heures sur vingt quatre.
Ils ne partent jamais en opération. Ils pratiquent le morse pour les messages codés des opérations. Ils ont également en charge un petit standard téléphonique. C’est vraiment un boulot peinard. Deux mois de stage ce n’est pas de trop surtout pour apprendre le morse. La belle vie à Alger en août et septembre ça ne se refuse pas.
Le lendemain j’allais au PC à Carnot prendre mon ordre de mission et en route pour Alger par le train.
Avouez que c’est un comble. Non content de m’être farci un stage commando, on m’offre maintenant un stage de transmissions. Ce sera quoi le prochain ?
Le voyage se passe bien et me voilà à Alger à la caserne d’Orléans. Cette grande caserne se situe sur les hauteurs de la ville, au-dessus du quartier de Bâb El Oued d’un côté et de la Casbah de l’autre. La Casbah est le palais d’un chef et également les rues autour du palais. C’est vraiment le quartier arabe, avec ses toutes petites ruelles piétonnes, qui existe dans certaines villes du Maghreb.
Nous sommes trente quatre à faire ce stage, de toutes sortes de régiments. Je suis le seul venant d’un commando. Dans la cour de la caserne on croise à peu près tous les uniformes, d’autant plus qu’il y a d’autres stages dans d’autres disciplines. Nous prenons possession de notre dortoir le jour même et de notre salle de cours le lendemain.
Notre instructeur est un adjudant chef de carrière d’allure plutôt « British ». Grand et mince, il porte le short et les grandes chaussettes, avec, je l’avoue, une certaine élégance. Sa tenue est toujours impeccablement repassée. Il est brun et arbore une fine moustache : la classe quoi. Assez autoritaire, nous finirons par l’apprécier car il sait de quoi il parle et c’est un très bon enseignant.
Les cours sont surtout axés sur l’apprentissage du morse. Ce n’est pas évident du tout. Nous finissons par en avoir plein les oreilles des ti ti et des ta ta.
Le ti représente le point et le ta le trait.
Nous nous familiarisons aussi avec les différents systèmes de codage des messages. Nous nous exerçons également sur les radios utilisées dans l’armée. Nous apprenons à chercher un émetteur et à se caler dessus afin de pouvoir correspondre dans les meilleures conditions. Ce n’est pas toujours facile surtout quand le correspondant souhaité est loin.
Je vous reçois cinq sur cinq.
J’ai entendu cette phrase des centaines de fois sans parler des alpha, bêta, charly pour a, b, c et la suite. Ceci dit nous apprenons vite et devenons tous des pro dans les transmissions. A la fin du stage nous passons un examen équivalent aux pelotons 1 et 2. Je suis reçu sans problème.
Nous ne fréquentons pas que l’école. Tous les jours de dix sept heures à vingt deux heures, le samedi et le dimanche toute la journée, nous pouvons sortir de la caserne.
C’est la vie de château.
La aussi je suis rentré plusieurs fois en dehors de l’heure légale et en passant carrément par la grande porte. Je ne me rappelle plus si c’est à Melun ou à Alger que je me suis fait pincer et que j’ai passé une nuit en prison.
Avec cinq copains nous formons une petite équipe.
Lors de nos premières ballades en ville, nous sommes étonnés de ne rencontrer que très peu de militaires. Renseignements pris, il s’avère que la plupart se mette en civil dans Alger. C’est formidable. Nous ne sommes plus obligés de saluer les gradés en permanence. Nous nous organisons très vite. Je demande à mes parents de m’expédier quelques vêtements civils. Comme c’est l’été, il n’en faut pas beaucoup.
Nous nous lions d’amitié avec un patron de bar à Bâb El Oued. Il nous autorise à nous changer chez lui dans son sous-sol.
C’est ainsi que nous déambulons dans Alger en civil. Nous n’avons pas les moyens de faire de grosses fiestas mais nous passons notre temps sur les plages du coin : c’est gratuit. En été à Alger il fait toujours beau et souvent très chaud. Comme je suis fan de natation, je passe mon temps libre dans la mer.
C’est à cette époque que j’ai commencé à apprécier les mers chaudes bien au-dessus de vingt degrés.
C’est quand même plus agréable que de continuer le baroud dans le djebel. De temps en temps nous déjeunons dans notre bar attitré. Je crois que le patron nous fait un petit prix.
Nous avons bu pas mal de pastis chez lui. Vous savez comme celui de Marseille, le vrai. Il faut bien compenser d’une manière ou d’une autre.
Il nous arrive d’aller danser certains dimanches après-midi. Nous dragons sec et finissons par lier connaissance avec quelques filles que nous retrouvons souvent, surtout sur les plages. En général les filles nous cataloguent tout de suite comme des militaires malgré nos vêtements civils : sans doute à cause de notre allure.
Je me souviens d’un bal un dimanche après-midi.
Je dansais avec une « Pied Noir ». Pendant la conversation je me suis fais traiter d’occupant. J’ai été tellement abasourdi que je n’ai pas répondu. Après coup ça m’a foutu en colère. Se faire traiter d’occupant par une européenne que l’on vient défendre, c’est un comble. J’espère qu’elle s’est fait virer d’Algérie. De temps en temps nous prenons le bus pour aller sur d’autres plages à l’extérieur d’Alger.
Suivant l’état de nos moyens nous nous payons une séance de ciné. Il y a quelques bonnes salles avec des films récents comme en France.
A l’époque l’O.A.S ne mettait pas encore de bombes.
Ce qui est moins drôle c’est d’être parfois de garde la nuit à la caserne. Bien entendu, quand notre tour arrive, ils nous donnent les plus mauvais coins. Ils savent que je suis commando et ils me réservent l’endroit le plus dangereux. En d’autres termes, je suis toujours de garde, en pleine nuit, dans la Casbah.
Je passe une à deux heures dans une ruelle de deux mètres de large. J’ai beau avoir barouder partout, je ne suis pas fier et je reste le dos collé au mur en surveillant à gauche, à droite et, le plus souvent, en hauteur.
Comme arme ils m’ont filé un pistolet mitrailleur : une vieille Thomson. Je ne sais même pas si elle marche. Je crois que c’est une arme anglaise. Le dessous du fût et la crosse sont en bois.
Elle est assez imposante et très lourde. Je regrette beaucoup de ne pas avoir ma MAT. Je crains surtout la grenade balancée d’une fenêtre. Enfin je réussis à m’en sortir sans bobos.
Malgré ces inconvénients, le stage ne se déroule pas trop mal. Tout a une fin et, après un pot d’adieu et nos diplômes en poche, chacun doit regagner son unité.
Au revoir Alger.
Je n’ai jamais eu de nouvelles de ces potes là. J’en suis en partie responsable. Il faut que quelqu’un fasse le premier pas. Je ne l’ai pas fait et c’est dommage mais ça on ne s’en rend compte que quelques années après. C’est trop tard.
De retour au commando, je réintègre ma quatrième section, non sans nostalgie.
Je n’ai pas le moral car je vais reprendre les opérations. Le copain que je dois remplacer aux transmissions est encore loin de la quille.
Je n’ai pas pu avoir d’explication avec mon adjudant-chef sur son comportement à mon égard avant mon départ pour Alger. Vous vous rappelez ? la mission seul dans le bled. Il a fini son temps et a regagné la métropole.
C’est un jeune sous-lieutenant, tout frais des E.O.R. qui le remplace
Il va y avoir encore de l’éducation à faire.
Manifestement l’armée manque de gradés pour nous encadrer. Ils ne sont peut-être pas chauds pour intégrer un commando. Je crois que, pour eux, il faut être volontaire pour venir dans notre unité. Notre nouveau chef aime le baroud. Il fera sans doute un militaire de carrière.
J’ai droit à une promo et me voilà chef d’équipe.
Je me retrouve à la tête d’une « pièce » : vous vous rappelez, l’équipe qui trimballe le fusil mitrailleur. Nous sommes six : un tireur, quatre porteurs de musette de chargeurs et moi.
Pour moi c’est le pied, j’ai un pistolet mitrailleur comme arme. Je me sens léger, léger...
Chacun son tour d’avoir du poids sur le dos, moi j’ai donné. J’en profite pour me trimballer deux grenades dans les poches du haut de ma veste. Mon expérience me dit que ça peut toujours servir.
J’ai appris à les lancer au stage dans l’Ouarsenis.
Nous sommes fin octobre 1960. Il y a plus de onze mois que je suis au commando dont presque dix sur le terrain. Je n’ai pas encore posé la seule et unique perme de détente vers la métropole que nous pouvons avoir. J’en ai marre. Je pose ma perme de quinze jours pour les fêtes de fin d’année. A mon grand étonnement elle est acceptée.
A la fin de l’année, il y aura plus d’un an que je n’ai pas revu la France.
Je suis bien content de passer Noël et le Jour de l’An en famille.
En attendant les opérations se succèdent sans relâche. Nous sommes en décembre et nous n’avons plus de beau temps.
Les premières pluies d’hiver nous tombent dessus et nous rentrons souvent au camp bien trempés. La flotte ne nous empêche pas de dormir à la belle étoile. Je m’en passerai bien de cette étoile.
Pas de panique, mon départ pour la métropole est proche.

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