mercredi 13 octobre 2010

ENCORE DES OPERATIONS

Rien de neuf au camp à Rouina.
Si, j’ai une petite surprise. Comme j’ai fait mes pelotons de transmission, je suis nommé brigadier à partir du 1er janvier 1961. Ce n’est pas le grade qui m’intéresse mais la paie. Elle est quand même bien plus importante. Je n’ai plus besoin d’aide financière extérieure. Je peux même faire des économies qui me permettront, plus tard, d’acheter un appareil photo.
Je retrouve tous mes potes et les gars de mon équipe. Et voilà je suis reparti pour me coltiner encore des opérations.
La place aux transmissions n’est pas encore vacante.
Je commence à en avoir vraiment mare.
Si ça continue je vais finir par me faire buter.
J’y pense de plus en plus.
Je n’ai pas connaissance que quelqu’un d’autre soit resté aussi longtemps opérationnel dans le commando. Notre capitaine est toujours aussi décontracté. S’il continue il va se faire tuer.
Comme je suis brigadier, mon chef de section ne m’a pas raté. Il m’a nommé illico chef d’équipe.
J’ai donc quelques nouveaux sous mes ordres. Je ne me souviens plus qui porte le FM après moi.
Quelques bonnes opé sont encore à l’ordre du jour.
Je me souviens de l’une d’elle en particulier.
Les camions nous ont déposés en bout de piste en fin de journée comme d’habitude. Nous allons encore crapahuter de nuit. Je ne sais pas par quelle circonstance notre équipe s’est retrouvée en queue de colonne. Encore une erreur d’encadrement. C’est une équipe légère de voltigeurs qui doit fermer la marche. J’ai mis tous mes gars devant moi par précaution car je suis quand même le plus expérimenté et surtout le mieux armé.
Je n’ai jamais vu une nuit comme celle-là. Elle est d’un noir d’encre. Nous ne voyons pas à trois mètres. Nous marchons à deux mètres de celui de devant.
Dans ces cas là, dès que la colonne s’arrête on tape dans le copain qui vous précède.
Les jurons fusent et nous nous arrêtons souvent pour recoller les morceaux. Je me demande encore comment on faisait pour ne pas se perdre définitivement.
Etant le dernier de la colonne je n’en mène pas large.
Je vais finir par me faire égorger.
Je vous garantis que ça tourne dans la tête.
J’ai dû faire la moitié du parcours en marche arrière. La tension nerveuse est très importante et à la fin du périple, au petit matin, je suis vidé. C’est un peu « con » car si nous ne voyons rien, ceux d’en face ne voient pas plus. Que voulez-vous, on ne se refait pas.
Heureusement nous sommes restés sur place une bonne partie de la journée si bien que l’après-midi j’étais frais et dispo.
C’est beau d’être jeune.
Nous avons changé de secteur pour la nuit. Nous nous sommes installés en haut d’un petit col.
Dans la nuit nous sommes réveillés par des bruits bizarres. Nous ne prenons pas le temps de nous poser des questions. Les rafales de MAT fusent de tous côtés. Tout le monde est réveillé et nous attendons le jour qui commence à poindre pour aller au résultat.
La surprise est de taille.
Nos visiteurs de la nuit sont des sangliers. Il y en a au moins une dizaine au tapis.
En Algérie il n’est pas rare de voir des hardes de sangliers d’une cinquantaine de têtes.
Comme notre opération est terminée, notre capitaine nous autorise à en ramener quelques-uns.
Nous en attachons cinq ou six, les plus jeunes, sur de solides branches d’arbre et nous les portons, à tour de rôle, jusqu’à la route où nous attendent les camions. Nous allons encore une fois pouvoir améliorer nos repas au camp.
Nous nous sommes régalés pendant quelques jours.
Une autre fois, au cours d’un ratissage en moyenne montagne, j’ai passé un sacré bon moment dans une mechta.
La zone, qui est habitée, doit être fouillée.
Avec deux copains nous nous trouvons devant une habitation beaucoup mieux construite que les autres. Devant la porte il y a une allée bordée d’un jardin et clôturée par un grillage.
Le jardin, très bien entretenu, est constitué en grande partie d’un potager. Les légumes, surtout des poireaux et des carottes, sont magnifiques.
Je ne sais pas si le propriétaire a vu notre étonnement, toujours est-il, qu’après notre fouille, il nous a proposé de partager sa soupe de légumes.
Il n’a vraiment pas de rancune.
Nous venons de mettre le bordel dans sa maison et, pour nous remercier, il nous offre de partager son potage. Avouez qu’il y a de quoi se poser des questions sur la nature humaine.
Décidément je n’aurai pas appris qu’à me servir d’une arme en Algérie.
Le potage a mijoté plusieurs heures dans la cheminée.
J’aurais préféré le manger dans d’autres circonstances. Notre hôte parle très bien le français.
Nous hésitons et, comme nous avions déjà fouillé sa maison, nous finissons par accepter.
Alors là, mes enfants ! Comme dirait quelqu’un de bien connu sur les télés gourmandes, je n’ai jamais mangé de ma vie un potage de légumes aussi bon. C’est peut-être que nous avons perdu le goût des bonnes choses. Nous discutons un peu avec notre hôte. Il a travaillé en région parisienne pendant quelques années. Comme il avait le mal du pays il est revenu auprès de sa famille. Autre particularité, sa femme, très belle, n’est pas voilée, même en notre présence. Ses deux enfants sont très bien habillés et surtout très propres.
L’intérieur de sa maison est simple. Le sol est en terre battue et « nickel ». Il n’y a pas une brindille de bois qui traîne.
Nous le remercions chaleureusement de son hospitalité et quittons ce joli coin avec regret. Les autres nous attendent avec anxiété. Nous ne leur racontons pas notre escapade pour protéger la quiétude de cette famille formidable. Notre fouille a été plus longue que prévu, c’est tout.
Je crois que c’est à cette période que nous avons du changement dans notre alimentation sur le terrain. Les vieilles boites sont abandonnées. L’armée a, sans doute, fini par les épuiser.
Nous touchons désormais des rations plus actuelles. Elles sont dans des sacs individuels en plastique transparent. Le conditionnement n’est pas terrible mais, on s’en fout, c’est la qualité de la nourriture qui nous intéresse.
Les conserves sont nettement meilleures. Je crois qu’il y a même une boite de thon : le luxe.
Au cours d’une opération nous essuyons de sacrés accrochages et nous avons de la casse. Nous enregistrons un mort et deux blessés dans nos rangs. Je me rappelle très bien du copain qui y est resté.
Blond de taille moyenne, il était très sympa.
Comme nous sommes en plein djebel, c’est un hélico, une alouette je crois, qui est venue évacuer notre mort et nos blessés.
Ces hélico sont spécialement équipés pour ce genre de transport. Les patins d’atterrissage sont munis, sur le dessus, d’une espèce de boite hermétique qui sert aussi bien à évacuer les morts que les blessés.
On dirait un cercueil. J’en ai froid dans le dos.
Pour nos déplacements sur le terrain, nous voyons arriver de nouveaux camions plus modernes. Ils sont moins solides que les autres et tout juste bons pour les déplacements sur le bitume.
Du coup, nous voyons revenir nos vieux GMC pour les parcours sur les pistes.
C’est également à cette époque qu’une section de notre commando tombe sur deux ou trois individus intéressants. Ils ne sont pas armés. Ce sont des collecteurs de fonds pour le FLN.
Ils ont pas mal de papiers sur eux et, surtout, une importante somme d’argent. Nous les ramenons au camp. Là notre capitaine a une riche idée. Il décide de garder l’argent pour le commando. Je ne sais pas ce que sont devenus les gars. Ils ont sans doute fait une « corvée de bois ». La « corvée de bois » consiste à emmener des fel en forêt et à revenir sans eux.
Avez-vous compris ?
J’en ai vu quelques-unes pendant mes deux ans mais je n’ai participé à aucune d’entre elles.
J’étais bien décidé à refuser cette mission quoiqu’il arrive.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire