mercredi 13 octobre 2010

MA PERMISSION DE DETENTE

Et voilà, j’y suis au jour J.
Prenez votre respiration car la suite n’est pas triste. Vous allez voir. S’il y en a un qui n’a pas de pot, c’est bien moi.
A l’époque j’avais un sacré « look ». Pour faire plus mâle je me suis laissé pousser un peu de barbe. Ce n’est pas facile à définir : moitié collier, moitié bouc. C’était la mode dans l’armée. Malgré mes cheveux châtains j’ai les poils de barbe bien noirs. Avouez que la nature est drôlement foutue.
Figurez-vous que les mecs du chemin de fer algérien se sont mis en grève pour une durée indéterminée. Ils n’ont qu’à venir à ma place, j’irai à la leur.
Là je suis en pétard.
Je prends quand même un camion pour le PC afin d’avoir mon ordre de mission pour ma perme. Apparemment ils n’ont pas reçu d’ordres contraires car ils me la donnent sans problème.
Comme je n’ai pas de contre ordre, je reviens à Rouina par le même camion, avec ma perme en poche en bonne et due forme.
Le lendemain je vais à la gare de Rouina. La grève est peut-être terminée. « manque de pot », elle est toujours là et bien là.
Dans la gare je tombe sur un gars qui est dans le même cas que moi. C’est un spahis de la caserne d’à côté. Nous discutons sur la manière de faire. Je ne vais tout de même pas retourner au camp. Finalement nous décidons de gagner Alger en stop. Il faut vraiment être gonflé. Après plus de onze mois de baroud je n’ai plus peur de rien. Par la route il y a environ cent cinquante kilomètres. Je ne vais tout de même pas renoncer à ma perme maintenant.
J’en ai besoin pour décompresser sinon je vais devenir dingue.
Nous décidons de nous munir d’une arme. Mon pote du moment retourne à sa caserne et revient avec un pistolet.
A défaut de lever la jambe comme certaines nanas, nous levons le pouce dans le patelin sur la N4.
Pourvu qu’on ne tombe pas sur un gradé.
Un Arabe accepte de nous prendre dans sa camionnette jusqu’à Blida. Il ne va pas plus loin. Blida est sur la route à cent kilomètres. C’est une ville assez importante à cinquante kilomètres au sud d’Alger. A Blida nous trouverons forcément une voiture pour Alger.
Nous acceptons et vogue la galère.
Nous sommes, malgré tout, sur nos gardes.
La cabine de la camionnette est suffisamment grande pour nous loger tous les trois.
Je ne me souviens plus de la nature de sa petite cargaison. La route n’est pas trop mauvaise mais nous sommes quand même inquiets quand nous rentrons dans un petit défilé. Nous n’en menons pas large car c’est l’endroit idéal pour une embuscade. Nous ne rencontrons pas grand monde si ce n’est quelques piétons avec leur bourriquot. Nous ne voyons même pas une patrouille militaire.
Nous arrivons enfin à Blida. La campagne est plus hospitalière et même assez belle.
Nous quittons notre transporteur après les remerciements d’usage.
Nous nous mettons en quête d’un autre véhicule. Le plus gros du trajet est fait. Ce serait le comble de rester coincés à Blida. Nous n’attendons pas très longtemps. Un coupé Simca s’arrête à notre hauteur.
Ils sont deux Européens à l’intérieur et ils nous invitent à regagner Alger avec eux.
Nous avons encore de la chance. Nos hôtes sont assez sympas et les discussions vont bon train.
A Alger ils nous déposent devant notre caserne de transit. Nous sommes dans les temps et devons embarquer le lendemain matin.
Je ne sais plus à quel moment le Spahi et moi nous nous sommes séparés. J’espère qu’il n’aura pas de problème avec son arme.
J’ai ma petite idée sur la manière de faire la traversée : certainement pas à fond de cale comme la première fois. Je me souviens qu’à l’aller des matelots proposaient de louer leur couchette. C’est une pratique courante sur les bateaux.
Ils se font un petit plus pour la paie.
Quand l’un d’eux m’accoste pour me proposer la sienne j’accepte le marché. Je ne me souviens plus du prix de la location. Je crois que c’était assez cher. Nous sommes trois dans la cabine. C’est plus confortable que sur un transat à fond de cale. Nous avons même l’occasion de boire un coup et de prendre des repas plus corrects. Pour dormir il n’y a pas eu de problème non plus. La couchette est confortable.
Je n’ai pas de mérite, je dors n’importe où. A noter que c’est toujours vrai aujourd’hui. Je fais des envieux. Il m’est arrivé de dormir debout dans un couloir de train.
La traversée a duré encore plus de trente heures.
Arrivé à Marseille il faut prendre le train jusqu’à Paris. A Paris je change de gare pour Montparnasse et en route pour la Bretagne. Pour finir je fais encore un autre changement à Guingamp pour prendre le petit train qui va sur Carhaix.
Je m’arrête à Callac où m’attendent impatiemment mes parents. Vous parlez d’un périple : plus de trois jours de voyage.
Comme je vous l’ai dit, c’est la seule fois que j’ai porté l’insigne des Commandos de chasse sur ma manche droite. Avec le béret noir j’ai suscité la curiosité de beaucoup de gens qui voyait un commando pour la première fois. De bonne grâce j’ai répondu à leurs questions.
Je pense qu’il est inutile de vous décrire la joie de mes parents. Ils ne m’ont pas revu depuis treize mois. Ma mère n’a jamais réalisé ce qu’est un commando et c’est aussi bien. D’ailleurs dans mon courrier je ne leurs ai pas raconté le dixième de ce que je faisais là-bas.
Mon père c’est autre chose. Ayant fait la guerre de quarante il en est conscient. J’en ai encore eu la preuve il n’y a pas longtemps. Ceci dit ça fait toujours plaisir de revoir les siens.
Il n’y a rien de changé dans le village.
J’ai encore un coup de chance. Je retrouve un copain d’école qui est également en perme de détente comme moi.
Inutile de vous dire que nous ne nous sommes pas quittés pendant quinze jours. Nous avons fait la fête tout le temps et les réveillons n’ont pas été tristes.
J’ai une pensée pour mes potes qui sont restés là-bas. Malheureusement tout a une fin et il faut repartir. Le cœur n’y est pas mais je n’ai pas le choix. La séparation avec mes parents se fait dans le hall de la gare de Guingamp. Ma mère y va de sa petite larme. Mon père ne dit rien mais, je sais qu’il n’en pense pas moins.
Mon voyage de retour se fait dans les mêmes conditions qu’à l’aller. Je ne sais plus si j’ai reloué une couchette dans le bateau.
Il y a tout de même une différence : les cheminots algériens ne sont plus en grève.
C’est l’inverse qu’ils auraient dû faire. Je serai bien rester en villégiature à Alger.

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